La Toponymie


La toponymie -l'étude des noms de lieux- permet d'accéder plus ou moins facilement à la mémoire des temps passés, car ces noms ont souvent été mieux préservés que les monuments ou les manuscrits, quand ils ne constituent pas la seule trace, avec les légendes, que ce passé nous ait léguée.

Les ouvrages de toponymie (Dauzat et Rostaing, Nègre …) proposent habituellement pour origine aux noms de lieux des noms de personnages romains, gaulois ou germaniques, accolés de quelques suffixes.

Sans vouloir critiquer ces honnêtes chercheurs, ni rejeter leurs savantes conclusions, force est de constater qu'il serait étonnant que les croyances populaires ne tiennent pas une plus grande place dans ces étymologies. Il n'est que de considérer le nombre de noms de lieux qui, dans notre république laïque et démystifiée, continuent de porter des noms de saints … Les Gaulois, pour ne parler que d'eux, n'étaient-ils pas considérés comme un peuple excessivement religieux ?

L'étude mythologique s'attache à la recherche de ces racines qu'une longue tradition chrétienne puis positiviste a continuellement cherché à effacer ou à minorer. Elle aura donc tendance à mettre de côté des interprétations trop prosaïques et à solliciter d'autres étymologies, apparemment moins rigoureuses et plus populaires, même si elles restent souvent de simples hypothèses, hasardeuses et tendancieuses.

Il ne faut pas oublier non plus que les noms recèlent souvent plusieurs étymologies, et que celle qui peut être attestée historiquement ne discrédite pas nécessairement les interprétations qui ont pu s'y greffer, qui ont assuré la pérennité de ce nom et qui l'ont peut-être fait évoluer. C'est ainsi que la première partie du nom de Martigné-Briand (49) proviendrait du nom d'un seigneur Martinneium (Dauzat et Rostaing) ; mais la tradition populaire préfère l'attribuer à la chaleur ("igné") qui régnait lorsque saint "Martin" passa par là et fit jaillir une source. L'homme a d'ailleurs toujours cherché à retrouver du sens derrière des noms qui avaient perdu toute signification à ses yeux.

On peut dire qu'en mythologie, la polysémie, la juxtaposition de plusieurs sens dans un même mot, est de règle. Les interprétations des noms de lieux n'y suivront donc pas toujours les sentiers à voie unique tracés par les toponymistes en titre. Non pour s'y substituer. Mais pour y découvrir du sens, en quête de recoupements avec traditions et légendes. Et pour ouvrir de nouvelles pistes qui, pourquoi pas ?, pourraient être tout aussi "scientifiques".


La toponymie reste en fait le premier révélateur des vagues successives de peuplement et des couches culturelles qui ont accompagné le développement de la matière
mythologique.

On peut y reconnaître les grandes couches suivantes :
- pré-indo-européenne : la Loire ou les Alpes, pour lesquelles aucune étymologie ne peut être proposée. Les noms concernés se trouvent le plus souvent au sud : Carcassonne, Gap, Pyrénées. Il faut évidemment y ajouter tous les noms d'origine basque
- pré-celtique (préhistorique) : des noms appartenant à la grande famille indo-européenne, mais dont il faut chercher au loin des correspondances, comme le Jura, dont on trouve un parallèle en letton : jura , hauteur forestière
- celtique : une empreinte qui recouvre pour ainsi dire toute la France : les Cévennes ("dos", nom qui désignait initialement tout le Massif Central), les Ardennes (ard, "haut"), les Vosges, Rouen, la Marne (Matra en celtique, équivalent du Matrona latin), le Rhin (Rhenos, "ce qui coule")
- romaine : la couche la plus évidente, qui se fondait sur le partage des terres entre les vétérans romains. Il s'agit le plus souvent de microtoponymie, les noms de personnes étant suffixés en -acum, suffixe qui s'est transformé en -ac, -y, -ey, -é … selon les régions
- germanique : des microtoponymes désignant des zones marginales, créées aux IV e Vèmes siècles entre les domaines romains. Ce sont par exemple les les nom se terminant en -villiers. Relèvent aussi de cette couche la Bourgogne qui vient du nom des Burgondes, ou bien sûr la France, du nom des Francs
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enfin des racines plus régionales, dont la plus remarquable est l'influence normandie : Dieppe ("profond"), ou les terminaisons -tot ("village") ou -bec ("ruisseau"), Caudebec étant le "froid ruisseau"