Les ermites et la forêt dans le roman arthurien

 

Georges Bertin

 

 

 

"Ceux qui n'ont pas été initiés ne peuvent pénétrer dans la forêt initiatique sans courir le risque de s'y égarer et d'y perdre la vie. Mille embûches les y attendent et leur mort est quasi certaine".

Pierre Saintyves[1].

 

Forêt et ermites sont deux notions proches sémantiquement et culturellement.

 

Forêt tire son origine du latin for-foris, qui signifie éloigné, étrange et a également donné foreanus : étranger.

 

Ermite provient du radical indo-européen ER II (ere) qui indique une idée de séparation, et a donné le grec eremos, « désert », soit en vieux français erme d'où ermir : « rendre désert ». Cette notion procédant de celle de rté  = « sans », qui indique la privation. Il ne nous surprendra donc pas que l'espace désert qu'est la forêt, éloigné des espaces habités[2], accueille ceux qui recherchent la coupure avec le monde: les ermites, l'un et l'autre opérant une mutuelle attraction. Forêt et ermites occupent de ce fait une même position que nous qualifierons de charnière dans les romans arthuriens.

 

La première est un espace transitionnel indispensable à l'accomplissement des aventures héroïques auxquelles elle fournit un cadre préparatoire, les tournois ayant lieu aux portes des cités. Espace de réclusion et d'initiation pour les héros en quête d'aventures, lieu de rencontres aussi avec l'Autre Monde, en certains lieux bien localisés eux-mêmes dans l'espace forestier. Elle est incontestablement un topos de l'aventure chevaleresque et courtoise, lieu de ressourcement et d'initiation, de confrontation au merveilleux, préparatoire à de nouvelles aventures.

 

Toujours présente au moment où les héros, après combat ou épreuves, doivent passer par une période de marge, de solitude, la figure de l’ermite est elle-même une image du passage puisque ceux qui nous sont décrits comme prud’hommes le sont de par leur origine (ils furent autrefois de braves chevaliers qui ont choisi de fuir le monde, et parfois même sont identifiés comme proches parents des chevaliers de la Table Ronde). Ils donnent des conseils éclairés aux chevaliers avant de leur faire partager leur retraite, sise au creux forestier d’une nature protectrice et joignent d’ailleurs à l’accueil spirituel celui des soins physiques et médicaux.

 

Donnons-en quelques exemples.

 

a) les héros arthuriens et les ermites.

 

L'ermite Ogrin est sollicité par Tristan et Yseut lorsque, après leur période de réclusion volontaire, les deux amants se repentant pensent à revenir à la civilisation. C'est lui qui facilitera le passage de l'état naturel où ils s'étaient complu à celui qui leur permet de restaurer le lien social.

 

Chez Robert de Boron (le Petit Saint Graal) [3], Perceval, après avoir échoué par sa niaiserie, à restaurer la virilité du riche Roi Pêcheur et à rendre la fertilité à sa terre, a essuyé de vifs reproches et, désespéré, a voyagé sept années sans entrer dans une église. Un jour de Vendredi Saint, (jour de la Croix adorée) alors qu'il erre en armes dans une forêt, trois chevaliers lui reprochent sa conduite et l'invitent à se rendre chez un ermite voisin au cœur de la forêt. Celui ci l'accueille, le confesse et lui demande de raconter ses aventures. Il interprète alors le récit en lui annonçant la mort de sa mère, sa propre sœur, et lui révèle que le Roi gardien du Graal est son frère, puis l'ayant absous, et gardé deux jours (jusqu'à Pâques), il le renvoie dans le monde, là encore, l'ermite fait office de "passeur". On retrouve la même situation chez Chrétien de Troyes dans le Conte du Graal.

 

Dans le manuscrit du Mans[4] un des plus anciens que nous possédions, cette présence du merveilleux véhiculé par les situations forestières est clairement mise en relation avec les figures érémitiques:

 

- dans le prologue du Grand Saint Graal[5], le clerc qui reçoit mission céleste d'écrire les aventures du Graal à la gloire de la sainte Trinité, raconte avoir été conduit en forêt par une bête étrange pour retrouver un manuscrit perdu. Ils arrivent jusqu'à un ermitage où se tient un homme en habit religieux qui se jette à ses pieds et lui demande sa bénédiction.

 

« Et lors nous entrâmes en une moult profonde vallée plaine de moult hautes forêts épaisses. Et quand je fus au fond de la vallée, je vis devant moi, une loge et devant l'huis était un homme de religion, vêtu d'une robe de religion qui était vieux et ancien. Et quand je le vis, je fus rempli de liesse et rendis grâce à Notre Seigneur de la compagnie qu'il m'avait ainsi donnée. Et quand il me vit, il ôta son capuchon et se jetant à mes pieds, il me demanda de le bénir et je le priai de se lever car j'étais un pêcheur qui ne pouvait le bénir. »[6]

 

Après l'avoir hébergé une nuit, l'ermite le conduit au Pin des Aventures où sourd une étrange fontaine au sable rouge comme sang, à l'eau froide comme la glace et qui avait trois fois par jour la couleur de l'émeraude et l'amertume de la mer. On reconnaît là les couleurs de la Trinité, l'ermite venant prendre ici la relève des êtres surnaturels qui hantent d'ordinaire dans les versions anciennes les sous bois.

Ils passent devant la fontaine singulière et, prés du lac de la reine, trouvent un ermitage pour y passer la nuit. Dans une chapelle, ils rencontrent un démoniaque qui se nourrit d'herbes et de racines, il s'agit d'un ermite revenu à la sauvagerie. Après l'avoir délivré des démons, l'auteur célèbre la messe et a la vision d'un homme qui verse des pommes et des poires dans son sein. A son réveil, l'homme est là en chair et en os avec ses fruits, il en donne à l'ermite et ils sont nourris par la fontaine pendant neuf jours. C'est ensuite que l'auteur, ayant retrouvé le manuscrit disparu, commence à écrire, comme si son passage par la vie érémitique avait été propédeutique à sa mission sacrée, la rencontre avec l'ermite ayant été initiée par cette bête singulière figure de la sauvagerie, comme si l'accès au spirituel ne pouvait être donné sans la violence d'une intrusion dans l'animalité, thème cher aux gnostiques.

 

De telles rencontres ne cessent d'habiter le récit.

- toujours, dans le Grand Saint Graal, Sarracinte, femme chrétienne d'Evalach le méconnu, roi de la cité de Sarras, a reçu les soins et bons enseignements d'un ermite, Saluste.

Or une bête cruelle « à la croupe de goupil et à la queue de lion », ravage le pays. Elle est poursuivie dans la forêt par le frère de Sarracinte qui disparaît.

Après la vision du Christ qui apparaît à Sarracinte, celle-ci retourne à l'ermitage pour y trouver l'ermite décédé. Elle participe à son ensevelissement et ses sergents et sa cousine se convertissent à la foi chrétienne, prélude de ce qui adviendra à Evalach lui-même et à toute sa cité. Ils sont baptisés au nom de la Sainte Trinité et Jermone prend la relève de Saluste comme ermite tant cette fonction est indispensable à l'équilibre du royaume.

Nous retrouvons là des thèmes similaires et une même fonction attribuée à l'ermite et à la forêt.

 

- dans ce même roman, on voit ainsi le Jour de La Croix adorée (Sainte Croix), le roi Lancelot l'ancien entrer en la forêt périlleuse pour requérir le service d'un ermite. Après avoir assisté aux offices, il voit une fontaine où il va boire et se fait couper le cou par derrière par un mari jaloux dont il a séduit l'épouse. L'eau continue de bouillir jusqu'à l'arrivée du fils de Lancelot tandis que des gouttes de sang surgissent de la tombe de Lancelot et que tous les chevaliers blessés qui touchent à ce sang sont guéris.

 

Dans la Vulgate du Lancelot en prose (Lancelot propre[7]), les ermites et les ermitages sont aussi des passages obligés des héros.

 

Gauvain, parti de Caerlion en compagnie de neuf chevaliers pour aller à la Douloureuse Garde, passe la nuit chez un ermite qui, dit le texte, « avait appartenu à la maison du roi Arthur aux premiers temps de son règne ». L'ermite les accueille avec joie et prophétise que le premier à entrer à la Douloureuse Garde, « sera le fils du roi mort de deuil ». (soit Lancelot, fils de Ban).

 

Le même Gauvain, ayant rencontré dans sa quête un homme de religion vêtu de blanc apprendra que la forêt des aventures est grande, dangereuse et pleine de pièges et que trois ermitages y sont : l'Ermitage du Carrefour, celui qu'on appelle l'Ermitage Caché, ("l'Ermitage Repost" dans le texte) lequel se trouve dans l'endroit le plus sauvage qu'on aie jamais vu et l'Ermitage de la Croix ou « fut asise la première croix qui onques fut en la Grande-Bretagne et dans toutes les contrées deça la grande mer[8] ». Cette localisation des ermitages n'est pas inintéressante: ils sont situés sur des points de rencontre (fonction de passage et nous avons montré ailleurs comment le Passais et le petit Maine étaient contrées d'ermites), cachés au cœur de la sauvagerie et liés au sacré originel, le chiffre trois lui-même revenant de façon obsédante dans le récit.

 

L'ermite qu'il rencontre au pays de Norgales lui apprend qu'il a eu comme maître et compagnon un chevalier qui a été un religieux très dévot jusqu'à ce que la pression du monde lui fasse abandonner cet état. Il confie à Gauvain que Lancelot est son proche parent et lui prodigue de bons conseils. on voit là poindre à nouveau le motif de la gémellisation des situations du clerc et du chevalier.

 

Un autre ermite, celui de la "Montagne Ronde" (ou rouge selon les versions) lui donnera la clef d'un passage périlleux.

 

Ailleurs, c'est Lancelot lui même (le chevalier blanc) qui, après avoir conquis la Douloureuse Garde,  arrive dans un ermitage. L'ermite, qui est très âgé fut un des plus beaux chevaliers qui soient sous le ciel, il s'est fait religieux dans la fleur de son âge après avoir perdu ses douze fils en moins d'un an. Il reconnaît Lancelot et lui donne de judicieux conseils grâce auxquels celui-ci déjouera un complot contre le roi. Ayant, dans cette aventure, fait prisonnier un chevalier, Lancelot le ramène chez l'ermite dont il utilisera la médiation pour ramener la paix entre Brandis des Isles et la maison d'Arthur.

Plus tard, c'est encore la maison de l'ermite du Plessis que Lancelot blessé grièvement choisit pour se soigner[9]. Il y reste jusqu'à ce qu'il soit « vif, alerte et très désireux de porter les armes ».[10]

De même, Hector des Mares arrive prés d'un fontaine nommée La Fontaine de l'Ermite qui guérit ceux qui, blessés, boivent de son eau. Apparaît ici avec récurrence la fonction thérapeutique de l'ermite.

 

Le roman nous apprend encore que les ermites sont prud'hommes au grand savoir lorsque l'un d'eux se présente au camp d'Arthur pour lui faire des reproches sur sa vie et ses manquements[11]. Ici, l'ermite consacre au sens fort la christianisation du mythe forestier en même qu'il prend la relève des êtres surnaturels qui la hantent. Il guérit ou participe de la guérison des chevaliers, il est médiateur, conseille les héros et prophétise.

 

Labiel, roi de Perse, dans le Grand Saint Graal[12] en fait l'expérience qui, s'étant rendu auprès d'un ermite dans la forêt, se voit par lui :

 

- instruit des principes de la religion chrétienne,

- se fait expliquer une vision,

- est soumis à une processus d'initiation chrétien puisque l'ermite le dépouille de ses vêtements, le fait entrer dans une pierre creuse, le baptise et le revêt d'une robe blanche.

 

b) forêt et eaux.

 

La forêt arthurienne est souvent décrite dans les romans, elle est toujours sauvage, "longue et lee", (large), la terre y est « chétive, gaste, déserte », et il est souvent précisé que les bêtes n'y peuvent vivre (Forêt Bleue de Norgales[13]). tandis que celle où se tient le lac de Viviane « surpasse en beauté toutes celles de Gaule et de Petite Bretagne[14] ».

 

Espace parfaitement mythifié, la forêt médiévale est un espace où tout devient possible en termes de sauvagerie: rencontre de monstres, de chevaliers pris de folie (cf La Folie Tristan, les accès de Lancelot), d'ermites démoniaques (cf supra) avec l'homonymie que nous constatons entre la feuillée et la folie, comme si en rejoignant la nature sauvage, les héros arthuriens abandonnaient peu ou prou leur civilisation. En même temps, c'est un espace qui protège tout en imposant des épreuves et Claude Letellier[15] a montré son ambivalence.

 

C'est le fait de Tristan qui devient, lors de sa réclusion avec Yseult, au creux des bois habile à la chasse puisqu'il est doté de l'arc qui ne faillit jamais et mène avec son chien une vie véritablement primitive, vivant sur le milieu. Dans sa fin elle-même, Tristan retourne comme on le sait au végétal puisque un arbre ou un rosier issant de sa tombe va enlacer celui qui sort de celle d'Yseult la Blonde, image sublime qui les renvoie l'un et l'autre à l'ordre naturel.

 

C'est aussi vrai de Perceval, décrit comme un jeune sauvage, niais et mal dégrossi qui est fasciné en voyant les chevaliers passer en forêt, il les prend pour des anges, ça l'est encore de Lancelot élevé au fond d'un lac au milieu de la « forêt qui surpassait en beauté toutes les forêts de Gaule et de la Petite Bretagne... et s'appelait "Bois en Val » (Lancelot en Prose).

 

La Forêt est encore dans le roman arthurien le lieu de manifestations surnaturelles et terrifiantes comme l'a montré Francis Dubost[16] ; lieu délaissé de Dieu, elle hante l'imagination médiévale en y mettant en scène diverses figures de l'étrangeté : monstres, bêtes, forestiers obtus et nains difformes s'y trouvent sans cesse sur les chemins de la Quête qu'empruntent les chevaliers.

 

Elle est aussi le lieu de leur initiation, puisque c'est là, à la faveur d'une pénombre propice que les ermites dépositaires de la sagesse divine et sociale leur prodiguent conseils et paroles sacrées, c'est là encore qu'ils sont mis sur le chemin de leur quête, que s'opère leur transformation.

 

Elle est encore le repaire de Merlin, l'initié, personnage hybride, né d'une humaine et d'un démon, conseiller d'Arthur. Figure énigmatique et omniprésente, il ne sera défait que par le piège que lui tend Viviane et auquel il s'est lui même exposé. Après avoir été le conseiller du roi qu'il a porté au pouvoir, captif de la prison d'air, il est désormais reclus dans son amour et son étrangeté. « Et le scela tout endormi en une cave dedans la périlleuse forêt de Darnantes[17] ».

Dans les romans écrits sous influence cistercienne, la figure des ermites recouvrira la sienne, comme en témoigne le passage du Petit Saint Graal (ms Huth) où l'on voit, à la fin du roman, Merlin prendre congé de Blaise et de Perceval et leur dire qu'il se bâtira en dehors de la forêt un ermitage où il se retirera et prophétisera quand Notre Seigneur lui révélera l'avenir, on l'appellera communément "Merlin l'esplumeors", dit le texte qui conclut « dés lors Merlin fut perdu pour le siècle et l'on ne parla plus que du Graal ».

On admirera la christianisation du mythe celtique ainsi opérée par le roman.

 

Dans la constellation des signes qui environnent  l'espace forestier, les romans arthuriens influencés par les cisterciens, nous montrent  cette même présence des arbres, en lien avec les séjours célestes et les fontaines, lesquelles sont des points d'accès aux séjours chtoniens, qui participent de la rencontre des fées et de personnages et animaux surnaturels.

 

Le Joseph d'Arimathie nous fait voir, alors qu'il est en marche vers Avalon, Joseph, détenteur du Graal, pénétrer dans la forêt de Darnantes après avoir franchi une rivière profonde et humide, la Cilice. Il y aperçoit un cerf blanc qui portent à son col une chaîne d'or, il est accompagné de quatre lions, il y verra la figure du Christ qui est ici signifié par le blanc et l'or, couleur respectivement de la virginité et de l'humilité., les quatre lions figurant les quatre évangélistes.

 

C'est l'espace forestier qui permet cette double rencontre, ce double passage. inaccessible à l'espace urbain. Entre l'air et les eaux, la forêt forme bien la dialectique fondamentale de l'imaginaire naturel, elle est aussi l'antichambre de l'au delà..

 

Un autre élément s'y trouve souvent accolé, c'est le motif de l'eau, souvent représenté par la fontaine dont on voit bien le lien imaginaire avec la forêt, comme valorisation de la quête de l'intimité, parenté recherchée par les romanciers entre le refuge des sous bois et celui de l'eau matricielle procurant réconfort.

Hector des Mares et un écuyer arrivent ainsi à la Fontaine de l'Ermite : « C'est la meilleure fontaine du monde et nul n'en boit de son eau sans être aussi frais et aussi bien portant que si jamais mal ni aucune douleur ne l'avaient affecté. »[18]

 

Hantée par les fées, elle apporte aux lieux fréquentés par elles, cette qualité qui est celle du locus amoenus,[19] facilitant le passage dans l'Autre Monde aux humains qui viennent à s'y égarer, entreprise risquée et périlleuse qui vient encore renforcer la fonction initiatique de la forêt médiévale.

 

Ainsi, les rencontres spirituelles ont parfois lieu, au milieu des eaux d'une rivière, dans une île, figure de l'au-delà comme celle de Pellès le riche roi pêcheur. Avec lui, Lancelot peut aborder, même si sa contemplation lui est interdite, le mystère du Graal qui ne lui apparaîtra que voilé au milieu d’un cortège d’anges et d’une étrange procession dont on célébrait encore la mémoire au diocèse du Mans au XIIème siècle[20]. A sa vue Lancelot « sent ses yeux le brûler comme un brasier ardent et tombe comme mort [21]».

 

 

 

 

 

INTERPRETATION.

 

Pour comprendre la convergence que nous relevons ici entre l'espace forestier tel qu'il est campé dans les romans arthuriens et les rôle des ermites, nous proposons deux séries de remarques, les unes on trait aux conditions socio-historiques de l'élaboration des romans arthuriens aux marches de l'Ouest et l'on y verra grande prolifération des schèmes qui se trouvent repérés dans le roman, les autres concernent une approche mythologique des personnages, ces deux interprétations semblent en effet converger pour définir le processus d'enromancement de la Matière de Bretagne.

 

Dans un travail précédent, nous notions que tous les clercs ayant composé des récits arthuriens s'étaient trouvé dans la mouvance des souverains anglo-normands et notamment de la reine Aliénor d'Aquitaine, le devant sans doute à ses origines (elle était la petite fille de Guillaume IX d'Aquitaine, le prince des troubadours) et à ses intérêts: la théologie trinitaire, voire la gnose orientale, et dans l'ensemble, nous concluions que la matière de Bretagne est, pour l'essentiel, anglo-normande.

La forêt de Brocéliande, qui apparaît dans le Lancelot propre sous le nom de Brequelande, s'étendait, à l'époque mérovingienne de Bellème à Vannes, formant frontière entre les anciennes provinces de Bretagne, du Maine, d'Anjou, de Normandie et le royaume de France, deux pays aux marches en portent témoignage comme espace féerique: le Passais et le Petit Maine.

 

Aux confins de Bretagne, de Normandie et du Maine, le Passais a formé de tous temps une contrée intermédiaire entre ces provinces que reliaient de très anciennes voies antiques dont l'une d'elles, le "chemin potier", joignait entre eux les bassins des rivières de la Mayenne, de la Sonce, de la Varenne et de la Vire(3)., et ce terroir du Passais, s'il a quelque chose à voir avec le pays des Grandes Merveilles dont parlent les anciens romans, a, de ce fait, servi de cadre et par là même condensé un grand nombre d'événements festifs qui en font, au plan symbolique, un lieu de passage. En témoignent les parallélismes frappants observés entre nombre de situations hagiographiques locales et la vie légendaire de quelque héros arthuriens. Connu longtemps pour ses étendues boisées escaladant une succession de collines formées par le vieux relief armoricain, il devint très tôt un haut lieu du druidisme dont monuments mégalithiques et traditions rappellent l'emprise.

Dans la région des Marches de Petite Bretagne et de Normandie, que nous avons étudiée, les légendes hagiographiques décrivant l'arrivée des moines civilisateurs au VIème siècle les représentent souvent occupés à détruire les bois consacrés aux "faux dieux", telles celui des prêtresses d'Eros qui avaient élu domicile sur le territoire de l'actuelle paroisse de St Bômer les Forges, du nom du saint qui brisa les autels de leur culte, leurs idoles et menhirs. Ainsi, les saints ermites fondateurs de la civilisation dans ces contrées retirées se trouvèrent tôt nantis, dans l'âme populaire, par une sorte de retour des choses, des vertus que l'on attribuait précédemment aux divinités des sources et des bois, le culte nouveau se superposant à l'ancien sans trop de difficultés au niveau de la pratique quotidienne.

De même le Petit Maine, qui le prolonge vers la Bretagne a vu, à l'époque où s'écrivaient les romans de la Table Ronde, s'établir sur son territoire de nombreuses situations qui ont incontestablement servi de matrices à celles du roman arthurien.

Ce que nous savons du développement des Abbayes normandes "en marche", de Lonlay l'Abbaye, de Mortain, de Savigny et du Mont Saint Michel vient encore nous conforter dans cette opinion. Leur histoire est en effet révélatrice des liens qui existent entre le roman arthurien et la vie érémitique aux marches de Normandie et de Petite Bretagne.

Prenons exemple de l'Abbaye de Savigny, proche du Mont Saint Michel, en limite du Petit Maine et de l'Avranchin. Elle trouve son origine avec la prolifération des ermites bien connue dans la région qui nous occupe au début du XIIéme siècle, autour d'Avranches, en cette fameuse forêt que nous avons identifiée ailleurs à celle de Darnantes du Roman en prose, lorsqu'en 1112, Saint Vital, chapelain de Robert de Mortain, prédicateur de la première croisade, et évangélisateur du Cotentin, du Bas Maine et de la Bretagne fonde cette abbaye sur un chemin montois.

Cet élève de Robert d'Arbrissel, lui-même fondateur de l'Abbaye de La Roë et de Fontevraud, fut sans doute sensible aux critiques [22]se faisant jour dans le clergé dont plusieurs dignitaires s'élevaient avec vigueur contre ces ermites (on en dénombra jusqu'à 140) qui vagabondaient et prêchaient dans les forêts avoisinantes, donnant parfois sans doute un témoignage peu en rapport avec les règles de l'Institution. Ayant obtenu de Raoul comte de Fougéres, la concession d'un territoire il y établit une abbaye qui essaimera dans tout l'Ouest et en Grande-Bretagne (68 fondations aux XIIème et XIIIème siècles) et connut un développement considérable sous la direction de ceux que l'on a appelés Les "Saints de Savigny"([23]), elle connut ainsi les faveurs d'Henri II qui la visita deux fois([24]) et l'on retrouve analogiquement cette situation souvent décrite dans le roman du roi venant se faire conseiller par les ermites.

Ainsi, ces ermites apparaissent dans les premières chartes de Savigny et sont connus pour avoir construit des chapelles dans la région du Passais, leur mode de prédication itinérant, leur évangélisation et leur vie érémitique leur attirant de nombreux fidèles. En 1114, un chanoine de Chartres, Rainard, mettra en relation leur vie érémitique et celle de la vie de l'Eglise primitive, preuve incontestable d'un retournement de l'opinion.

Sise à l'emplacement de défrichements tardifs, au cœur de la Terre Gâte, dont témoignent les toponymes locaux : St Laurent ou Aubin-de-Terregatte, Désertines, Landelles, Louvigné-du-Désert, il semble évident que son paysage aie pu impressionner les clercs de la cour d'Henri II chargés des récits arthuriens, de même la prolifération des ermites dans les romans arthuriens semble être proportionnelle à celle de la région, au début d'un XIIéme siècle qui voit un renversement des perspectives de la vie religieuse, l'Eglise favorisant l'encadrement des ermites toujours un peu suspecté de gnosticisme. A la prolifération érémitique notée par les historiens dans l'ouest de la France au XIIème[25] répondent comme en écho, au siècle suivant, les situations décrites dans le roman, l'érémitisme se survit dans l'imaginaire littéraire, et Brocéliande est une nouvelle Thébaïde.

Savigny est également un lieu de transmission des récits hagiographiques et légendaires du fait de ses possessions ou filiales outre Manche puisque dés 1138, l'abbaye comptait 10 fondations en Angleterre dont deux situées en Cornouailles britanniques (Quarr Abbey 1132 et Buckfast 1136). Un des ermites contemporains de Vital, Raoul de la Futaie, fonda Loc-Maria prés de Quimper et l'Abbaye de St Sulpice la Forêt entre Rennes et Fougères. Tout se passe en fait comme si la Matière de Normandie avait pris le chemin breton.

A Savigny, abbaye des Marches de Maine et de Normandie, se réalise sans doute l'hypothèse de Jean Frappier([26]) estimant que la rédaction et la diffusion des romans de la Table Ronde n'avaient pu se réaliser que dans le cadre de la civilisation anglo-normande et de ses abbayes, à partir de lieux où cette civilisation était en contact avec les sociétés celtiques et aussi avec celles du Midi. Les processus littéraires d'enracinement déjà cités y ont assurément trouvé et une matière hagiographique (les Vitae) et un carrefour mythico-légendaire, et une situation historico-géographique propres à les inspirer.

Gilles Susong[27] a fort bien mis en évidence la composition dans la Vita du Bienheureux Pierre d'Avranches, ancien trouvère converti à la vie monacale, vénéré de son vivant par Henri II, d'un récit dit « de la glorieuse révélation faite à un chevalier breton » lequel, ravi au ciel aperçut, au pied du trône du Christ, un moine blanc de Savigny, Pierre d'Avranches. Récit qui n'a pas manqué d'influer sur les récits graaliques.

On retrouve, dans ces situations historiques, des images qui nous sont familières telles qu'elles ont été développées dans le roman.

 

 

b) L'ermite du roman arthurien, figure possible du "précepteur des dieux".

 

Lancelot-saint Fraimbault, le prêtre-roi, gardien du bocage sacré.

Le parallélisme est souvent très frappant entre les légendes hagiographiques recueillies dans les solitudes boisées des forêts de l'Ouest et celles des chevaliers de la Table Ronde.

Nous avons montré ailleurs[28], après le père Moisan, les correspondances entre les .figures hagiographiques des marches du Maine, les saints ermites Ernier, Fraimbault, Bômer et celles de chevaliers arthuriens: Léonce de Payerne, Lancelot du Lac, Baudemagu et avons même proposé, lors du congrès de la SMF, à Bagnoles de l'Orne, des rapprochements entre la figure mythologique de saint Ortaire, l'ermite du Bézier et celle d'Arthur lui-même.

 

Lancelot lui-même connaît cette mutation puisqu’il finit ses jours comme moine chantant messe. En témoigne, nous l’avons vu, sa géméllisation avec les traits de l’ermite Fraimbault où se rencontrent les deux piliers de toute société indo-européenne, le guerrier et le clerc.

Saint Fraimbault de Lassay, issu d'une famille noble, éduqué comme futur chevalier à la cour de Childebert, affronte la vie religieuse par une rupture radicale avec son milieu, s'exilant volontairement, tel un chevalier errant. Sa quête, pour être spirituelle, n'en est pas moins héroïque et il y a du chevalier dans ce moine qui s'enfonce au VIéme siècle de notre ère dans les solitudes boisées du Passais pour y répandre la bonne nouvelle. On a vu cette situation reprise dans le roman.

Fils de Ban de Banoïc et de la reine Hélène, Lancelot a reçu en baptême le nom de Galaad, il est issu d'une lignée prestigieuse, celle de Joseph d'Arimathie premier possesseur du Saint Graal.

Lancelot est enlevé, à sa mère tout bébé et ravi au royaume sub-aquatique de la fée du Lac, Viviane, où il vivra, d'une certaine façon, dans cet autre monde avant de revenir chez les humains. Ce qui accentue encore le caractère hybride du personnage participant, par son père Ban de Banoïc, d'une royauté incarnée dans une lignée charnelle et par sa mère d'adoption, l'ondine, d'une essence différente comme saint Fraimbault est prêtre et patricien. L'eau joue également un grand rôle dans l'histoire de ce saint puisqu'il échappe aux soudards que Childebert a lancé à sa poursuite à la faveur d'une grotte aquatique qui le dérobe à la vue de ses poursuivants. Tous ses lieux de culte connus sont en rapport avec fontaines, rivières et cultes aquatiques. Enfin, comme Lancelot, le Valet de Trèfle, Frambaldus de Laceio (du Lac) est un ondin comme en témoigne la pierre tombale de l'époque mérovingienne que l'on montre à l'angle du mur nord-est de l'église de St-Fraimbault-de-Lassay. Elle porte un trèfle, symbole alchimique des ondins.

 

Les personnages des ermites sont très présents, on l'a vu, aux marches du Maine, saint Innocent, évêque du Mans, ayant envoyé au VIème siècle toute un héroïque escouade de moines qui, après un séjour à l'abbaye de Mici, créeront la civilisation chrétienne dans les solitudes boisées de ces régions frontières.

Les tarots nous montrent l'ermite, (Arcane 9) en vieil homme revêtu d'une cape, appuyé sur un bâton qui, dans certains cas, porte un chapelet de sept roses tandis que s'enroulent autour deux serpents. Il a une lampe à la main. D'un point de vue initiatique,([29]) l'ermite, a comme lettre de référence dans l'alphabet hébraïque le TETH, proche du TAU grec. Il signifie initiation, soit dans le plan divin où l'ermite est celui qui reçoit la révélation, soit dans celui de l'homme où il indique la voie initiatique. D'un point de vue strictement matériel, l'ermite est figure de perfectionnement.

« Un vieillard enveloppé d'un manteau avec une crosse dans une main et une torche dans l'autre qui chemine sur une route inconnue. »

Ce vieillard qui a vécu la vie, possède l'expérience de ses chutes nombreuses et diverses et se trouve au seuil du temple.

Le testament de l'ermite est celui du droit et de la nécessité où se trouve l'humanité d'entrer dans la voie initiatique pour intégrer le plan divin, réaliser le vieux rêve des premiers hommes: devenir semblables aux dieux.

Sur ces bases, on peut sans doute conjecturer que les lieux des saints ermites des bocages sus mentionnés, à l'écart des agglomérations, en des lieux consacrés par l'usage à des fins de propitiation étaient aussi lieux de marge, voire de réclusion pour les jeunes générations promues à l'intégration sociale, comme ils le sont encore aujourd'hui pour les moines qui y vivent dans la sainteté et la mortification. Nous en avons vu ce scénario décrit dans le roman à propos de la conversion de Labiel.

 

Nous avons montré, dans notre communication au congrès de la SMF de Bagnoles de l'Orne, sur l'exemple de saint Ortaire, que ce processus de gémellisation entre ermite et chevalier fonctionnait également sur d'autres situations. Le roman nous indique en outre qu'il est réversible.

 

Reste à saisir comment des personnages religieux et campés comme tels ont pris une telle dimension dans l'imaginaire arthurien où ils sont associés à des situations de marge (forestières).

 

L'analyse mythologique sur ce point nous est secourable.

1) Georges Dumézil[30] nous indique que Brahspati le dieu qui s'incarne en Drona est l'équivalent du brahmane terrestre et plus précisément du purahita, du chapelain, le maître spirituel ou précepteur des dieux dans le Mahabharata..

Sa figure est, comme celle de Lancelot-saint Fraimbault, double puisque Brahaspati est aussi un archer mystique dont l'arme est le RTA, l'ordre cosmique et naturel.

La flèche du dieu devient entre les mains du héros la flèche ordinaire des combats et des champs de bataille, comme la lance du chevalier devient crosse chez l'ermite.

Le Rig Veda nous montre Drona engagé dans plusieurs récits où il aide Indra combattant notamment dans le mythe de la délivrance des vaches où il est revêtu de traits directement guerriers comme on a vu dans le texte arthurien un chevalier confit en sainteté abandonner l'ermitage pour aller en découdre. Il met en morceaux des forteresses, domine les ennemis, les disperse, gagne les victoires, est invoqué dans les entreprises guerrières où il est « un prêtre doué ans le combat », il n'est jusqu'à la figure populaire du frère Tuck de Robin Hood qui n'en rende compte..

Dumezil nous indique d'ailleurs que le prêtre ne devait pas se trouver moins engagé dans l'action que l'archevêque Turpin aux côtés de Charlemagne ou le druide Amorgen aux côtés du roi Eremon.

Drona reste pourtant fondamentalement brahmane et Dumézil nous indique que Drona est un personnage ambigu, à la fois brahmane et guerrier et même brahmane et roi, comme nous avons vu Lancelot né fils de roi devenir moine chantant messe, tandis que le roman insiste sur le doublet en rappelant avec constance que tel ermite était naguère brave chevalier et que tel autre est proche de famille avec Lancelot. Nous sommes ici dans l'univers que nous décrivions l'an dernier au congrès de la SMF en concluant que Lancelot apparaissait bien, in fine, transcendant toutes  les classes et assumant toutes les fonctions en assumant la mise en contact d’aspects parfaitement antagonistes, Lancelot voué au vocable de la Trinité (il est le valet de Trèfle), concluions-nous, est bien le Médiateur et nous nous fondions sur deux arguments appuyant cette hypothèse:

- la cohérence, le fait que la société médiévale connaît un passage important aux XIIème-XIIIème siècles, celui de l’héroïsme à la sainteté, dont témoigne l’essor des croisades et que la sublimation du héros vers une position hors normes et hors classes est en cohérence avec le projet des donneurs d’ordres, fonder un ordre nouveau, synthèses de trois civilisations, l’occidentale, la celte, l’orientale.

- le contrôle, subséquemment, il s'agissait d'exercer en même temps un contrôle social dans le passage à la sainteté et réconcilier les deux types de l’idéal médiéval en formant une société meilleure « associant pour toujours les spécialistes de la politique , du droit et de la plus haute religion et ceux de la guerre avec les maîtres de la richesse et de la fécondité »[31]. 

Il arrive souvent, précise Dumézil que ce sont les débuts, les enfances qui révèlent le mieux la nature, la signification idéologique des personnages. Nous en avons ici une nouvelle démonstration, Drona, même s'il se comporte en ksatriya et en roi est né brahmane et demeure brahmane dans sa deuxième vocation, il vit dans un ermitage où il reçoit le roi Drupada.

De même la figure christianisée saint Fraimbault de Lassay (le lancier du lac) est né de fils de roi et, Fraimbault séparé des siens par une citerne dont l'eau s'enfle à Yvry sur Seine, il passe très tôt dans les ordres, tout en gardant une grande influence sur les rois puisque Hugues Capet sera élu roi par ses pairs devant le tombeau de Fraimbault à Senlis tandis que sa figure en abîme littéraire Lancelot du Lac, né dans l'entourage de la reine Aliénor, suivra un chemin symétriquement inversé devenant moine sur la fin non sans que les situations décrites dans le roman ne nous aient préparés à cette issue par l'itération des situations. Né fils de roi, il est éduqué dans le monde de l'Au-delà par la fée Viviane et y acquiert un caractère ambigu.

Drona est encore associé à un puits puisque par la vertu des ses flèches, il fait remonter d'un puits des cailloux et un anneau qu'il y a jeté, puits doté de qualités exceptionnelles puisqu'il contient le SOMA (plante qui grimpe le long des parois du puits) et le sucre.

On a vu comment les fontaines du roman arthurien apportaient abondance et nourriture, guérison aussi aux héros.

De ce puits, la rivière-déesse Sarasvasti s'élance avec ses flots comme, dans l'hagiographie frambaldienne, la citerne s'enfle pour protéger le jeune homme ou comme, à la Fosse Arthour, la Sonce sort de son lit quand les amants royaux se retrouvent avant le coucher du soleil.

Nous avons inventorié nous même nombre de sites aux marches du Maine où des reliquaires d'anciens ermites, plongés dans les fontaines les jours hernus, au coeur des forêts du bocage, déclenchaient l'ondée bénéfique.

2) Si l'on regarde du côté de la mythologie celtique, on retrouve un même rapport structurel entre druide et roi.

Christian Guyonwarc'h et Françoise Leroux[32] nous indiquent que les druides sont entourés d'un grand respect, que le druide siège à la droite du roi qui ne doit pas parler dans ses assemblées avant lui.

« La royauté celtique, indiquent-ils, a vécu à l'ombre et pour ainsi dire sous la protection du sacerdoce druidique »[33] et qu'en outre l'un des attributs du dieu Diancecht, le médecin, dans la seconde bataille de Mag Tured, est la fontaine de santé où est guéri le dieu forgeron Goibniu. Parfois remplacée par un fleuve, une rivière ou un ruisseau, elle est toujours en relation avec les plantes qui guérissent. « Cette eau merveilleuse ressuscite les morts quand les dieux et les druides s'en mêlent. Si les vivants l'utilisent, elle les rajeunit et les préserve. »[34]

Comme l'ermite le druide est ainsi lié à la forêt, c'est là dans le nemeton, le sanctuaire qu'il tient les réunions religieuses, et Guyonwarc'h nous indique que forêt et temple sont pour les celtes des notions équivalentes, synonymes ou interchangeables[35]. Il cite Lucain, lequel, dans Pharsale (453-4), indiquait que les druides habitaient de profonds sanctuaires dans des bois reculés où sourdaient de noires fontaines.

Pompenius Mela, pour sa part, (III-2), soulignait le fait que la forêt était sacrée et Jules César notait qu'elle était toujours proche d'une résidence royale.

Il ne nous étonnera donc pas que les ermites du roman arthurien et leurs doublets chrétiens, nos ermites du Bas-Maine[36], renouvelant la vie des solitaires de la Thébaïde soient, en arrière plan, accompagnés d'un cortège d'images qui les apparentent aux mythe du précepteur des dieux. Comme lui ils se nourrissent de racines, habitent des grottes obscures, prés de fontaines guérisseuses, recherchent les endroits les plus solitaires pour y établir leurs ermitages, ou encore la proximité de carrefours, sont de véritables héros en même temps que des saints. Le mythe a essaimé à la fois dans les vitae du Haut Moyen-Age et dans les oeuvres littéraires des XIIème-XIIIème siècles. Les situations lui empruntant l'essentiel de leurs structures.

Les multiples occurrences de la forêt, comme topos de l'Imaginaire, viennent, dans le roman arthurien comme dans l'hagiographie, renforcer la constellation d'images mythologiques qui facilite cette transmission. Mieux, elles la déterminent en la dotant d'un véritable bassin sémantique dont le poète Baudelaire avait encore présent la force et la prégnance lorsqu'il écrivait, dans Les Fleurs du Mal :

 

« La nature est un temple où de vivants piliers

laissent parfois sortir de confuses paroles,

l'homme y passe à travers des forêts de symboles

qui l'observent avec des regards familiers. »

 

 

Georges Bertin.

depuis la forêt du Perche,

en la fête de Lugnasad,

le 1er août 1997.

 

Bibliographie sommaire.

 

Bertin Georges, La quête du saint Graal et l'Imaginaire, Condé sur Noireau, Corlet, 1997.

Boulenger J. Les Romans de la Table Ronde, t 3, Paris, UGE, 1971.

Dumezil Georges, Mythe et Epopée I, Paris, Gallimard/Quarto, 1995.

Durand Gilbert, Les structures anthropologiques de l'Imaginaire, Paris, Dunod, 1985.

Frappier Jean, Le Roman Breton, ses origines, Paris, CDU Sorbonne, 1963.

Gillard abbé, Vie de saint Fraimbault, Mayenne, Poirier, 1886.

Guyonwarc'h Christian et Leroux Françoise, Les druides, Rennes, Ouest-France Université, 1986.

Hucher Eugéne, Le Saint Graal ou le Joseph d'Arimathie, 1ère branche des romans de la Table Ronde, Le Mans, Monnoyer, 1875, 3 tomes.

Lancelot du Lac, traduit par François Mosés, Paris, Livre de Poche Lettres Gothiques, 1991.
[GB1] 



 

 

 

 

 

 

Notes.

 

[1] Saintyves Pierre, Les Contes de Perrault, Paris, Laffont/Bouquins, 1987, p.266.

[2] Claude Letellier oppose le saltus, espace sauvage, à l'ager, espace cultivé et à la manse, espace habité in Cahiers du Cermeil N° 12 1997 et indique que, dans les romans médiévaux, les ermitages se situent toujours en lisière, soit dans un espace intermédiaire.

[3] Manuscrit Huth, in Hucher  Eugéne, Le Saint Graal ou le Joseph d'Arimathie, 1ère branche des romans de la Table Ronde, Le Mans, Monnoyer, 1875, t1, p.408.

 

[5], Hucher, t.2 p.X-XIV.

[6] ibidem. p.26.

[7] cf Lancelot du Lac, traduit par François Mosés, Paris, Livre de Poche Lettres Gorhiques, 1991,    t.1 p.535 sq.

[8] ibidem t2 p. 336

[9] ibidem t 1 p.645-7

[10] ibidem t1 p. 659

[11] ibidem t1 p. 747.

[12]  Hucher op cit t2 p. LVIII

[13] Lancelot II p. 405.

[14] Lancelot 1 p.55.

[15] Letellier Claude, Tristan et Yseut dans la forêt, in Cahiers du Cermeil N° 12 1997.

[16] Dubost F. Aspects fantastiques de la Littérature médiévale, (XIIème-XIIIème siècle), in L'Autre, l'Ailleurs, l'Autrefois, Paris, Nouvelle Bibliothèque médiévale, Champion, 1991, 2vol, 1057 p.

[17] Lancelot 1: p.97.

[18]  Lancelot du Lac,t.2 op.cit. p. 323-5

[19] Gallais Pierre, La Fée à la fontaine et à l'Arbre, un archétype du conte merveilleux et courtois, Amsterdam, 1992.

[20]  Bertin G. La fête des lances dans l’ancien diocèse du Mans, in Les Romans de la Table Ronde, la Normandie et au delà, Corlet, 1988.

[21]  Boulenger J. Les Romans de la Table Ronde, t 3, Paris, UGE, 1971, p.83.

(4) Bouet P: le Domfrontais de 1050 à 1150 in La légende arthurienne...op. cit. p.73 à 94.

[22] Malenbroek (Von) Joseph, Vital, l'ermite prédicateur itinérant, Revue de l'Avranchin, Mars 1991, N° 346.

[23] St Geoffroy, successeur de St Vital,

                St Pierre d'Avranches, musicien de renom,

                St Hamon, préposé aux aumônes,

                St Guillaume Niobé,

                Le bienheureux Serlon, 4éme abbé;

                le Bienheureux Guillaume de Tholose, 10éme abbé,

                Ste Adeline, soeur de Vital, fondatrice de Mortain. 1115.

[24] Lebreton Ch. La pénitence d'Henri II et le concile d'Avranches, St Brieuc, Ed Guyon, 1884.

[25]  Berlioz Jacques, Moines et religieux au Moyen-Age, L'Histoire, Le Seuil, 1994, p.9

[26] Frappier Jean, Le Roman Breton, ses origines, Paris, CDU Sorbonne, 1963.

[27] Les Romans ...op.cit.. p. 65.

[28] Bertin Georges, La Quête du Saint Graal et l'Imaginaire,  Condé sur Noireau, Corlet, 1997.

[29] Marcotoune S. La science secréte des initiés et la pratique de la Vie, Paris, Champion, 1955, p.101

[30]  Dumezil Georges, Mythe et Epopée I, Paris, Gallimard/Quarto, 1995, p. 222.

[31]  Dumézil G. Mythe et Epopée ..op.cit. p.299.

[32] Guyonwarc'h Christian et Leroux Françoise, Les druides, Rennes,  Ouest-France Université, 1986, p.108.

[33] ibidem p. 113

[34] ibidem p. 144.

[35] ibidem p. 229.

[36]  de Micy, abbaye de l'Orléanais, sont venus, au VIème siècle, s'établir dans les solitudes boisées des marches de Petite Bretagne ou au Maine, les saints Calais, Avit, Ulphace, Ernier ou Ernée, Alvée, Bohamade ou Bômer, Constantien, Fraimbault, qui s'attirent vite des réputations de guérisseurs, de chasseurs de démons, d'homme à la vie exemplaire par son dénuement, dans des apys où les habiatnst sont réputés pour leurs moeurs grossièreset barbares. cf Gillard abbé, Vie de saint Fraimbault, Mayenne, Poirier, 1886. On voit que ces vertus sont reprises sans coruption dans le roman arthurien.

 

 

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 [GB1]