LA MÉSAVENTURE DE SAINT MARS


L'histoire de saint Mars a été reprise, et quelque peu adaptée, par Jehan de Bourdigné, dans sa Chronique d'Anjou et du Maine, 1529 :

" Au concile (d'Orléans, en 512,) ouquel présidoit sainct Melaine évesque de Rennes (...) entre autres prélatz y assistèrent, révérends pères sainct Aulbin, évesque d'Angiers, sainct Mars, évesque de Nantes, et sainct Victeur, évesque du Mans. Lesquelz assembléz ensemble firent plusieurs belles constitutions et ordonnances touchant l'estat de l'église. Et comme ces saincts prélatz retournaient chascun à son siège, ung mesmes chemin tenans vindrent en la ville d'Angiers, où du clergié et citoyens furent en grant honneur et révérence receuz, et par aucuns jours festoyéz. Et quant les seigneurs prélatz voulurent départir, monsieur sainct Melaine, meu de dévotion, en certaine chapelle d'Angiers, érigée en l'honneur de la glorieuse Vierge Marie au lieu où de présent est le monastère de Nostre Dame du Rousseray, voulut célébrer messe, à laquelle tous les évesques dessusdictz assistèrent. Et après la messe dicte monseigneur sainct Melaine par fraternelle dilection, à chascun d'eulx présenta la saincte et sacrée hostie. Lesquels en grante charité la receurent et usèrent, réservé sainct Mars qui (pour quelque indignation qu'il avoit), faignant la recevoir clandestinement, la cacha en son sein. Puis prenans congé les ungs des autres vers leurs diocèses dressent leur voye. Sainct Mars sur le chemin soy remembrant de la saincte hostie, par luy en son sein recluse, regarda où elle estoit ; mais point ne la trouva, ains en lieu d'elle ung horrible serpent qui s'estoit lyé autour de son corps, dont de paour tout tremblant cheut pasmé. Puis en soy repentant et lamentant, s'en alla vers sainct Melaine à Rennes, et, en se prosternant devant luy son piteux cas racompta, dont sainct Melaine esmerveillé le renvoya à monseigneur sainct Aulbin à Angiers, pour de luy absolution recevoir. Mais le bon prélat ne le osant absouldre, à sainct Victeur, évesque du Mans le renvoya, lequel se jugeant indigne de faire ce que deux si gens de bien avoient différé, à sainct Melaine de rechief le transmit, lequel sa contrition congneue, sa bénédiction luy donna. Et lors retourna l'hostie en sa première forme, laquelle le benoist sainct Mars en grant dévotion receut. "

Il convient d'y apporter quelques corrections.Tout d'abord, ce n'est pas l'hostie consacrée que Mars "cache en son sein", mais une eulogie, c'est-à-dire un pain bénit que (selon une coutume qui reste en usage à Bais et dans les environs) l'on partage en signe d'amitié fraternelle, et c'est pour respecter le jeûne du carême qu'il la garde de côté, faisant passer le désir de mortification avant le devoir de charité. Il semble d'autre part, que ce soit dans son monastère de Platz, près de Redon, et non à Rennes que Melaine reçoive finalement Mars.

Le pain bénit est chaque dimanche déposé
a
ux pieds des reliques de saint Mars
exposées dans l'église de Bais.
Bien qu'il n'y ait, paraît-il, pas de rapport,
on ne peut s'empêcher de penser
à l'eulogie mise de côté par le saint.

En voici le récit, tel que le rapportait la Vita de saint Melaine :

" Melaine, homme de Dieu, Aubin, élu de Dieu, saints Victor, Launus et Marsus se réunirent à Angers dans la basilique de la sainte Mère de Dieu, et le bienheureux Melaine, sur l'invitation de tous les autres, y célébra la messe le premier jour du jeûne du carême. Les mystères sacrés accomplis, avant de se séparer de ses frères, le bienheureux pontife distribua à chacun les eulogies, gage de la charité mutuelle. Il leur souhaita la grâce de Dieu, et leur donna sa bénédiction.

Le bienheureux Marsus, préférant l'observation rigoureuse du jeûne à cette marque de charité, et n'estimant point assez cette eulogie, qu'il aurait dû consommer comme un signe de la communion spirituelle, cacha dans son sein la particule, qu'il avait reçue de la main même de saint Melaine.

Après s'être donné mutuellement le baiser de paix, les évêques se mirent en route pour se rendre à leurs sièges. Ils n'avaient pas parcouru plus de dix milles hors de la ville, lorsque saint Marsus se sentit pressé par les plis d'un serpent, qui entourait son corps, et qui n'était autre que l'eulogie transformée subitement en ce reptile. Il reconnut aussitôt que ce châtiment lui était infligé pour avoir manqué à l'obéissance et avoir méprisé la charité.

Il se prosterna incontinent aux pieds du bienheureux Melaine, et lui fit le récit de ce qui venait de lui arriver. Le saint pontife, acceptant cette satisfaction, lui dit : "Allez vite, mon frère, vers le seigneur Aubin, notre frère, et confessez-lui ce que vous avez fait et quel châtiment vous avez reçu par votre faute."

Il se releva aussitôt, marcha avec toute la hâte possible, et vint trouver saint Aubin, auquel il confessa son péché. Le saint évêque ayant écouté son récit, lui dit : "Tenez pour certain que je vais adresser mes prières au ciel pour vous ; mais allez trouver notre frère Victor, racontez-lui tout ce que vous avez fait, et priez-le de supplier la miséricorde de Dieu pour vous."

Obéissant à l'ordre de l'homme de Dieu, Marsus partit sans retard et se rendit au Mans, près du bienheureux Victor, auquel il fit connaître ce qui lui était arrivé. Victor se souvenant de cette maxime de l'Ecriture : Que tout jugement soit porté sur la parole de deux ou trois témoins, dit à Marsus : "Retournez, mon frère, au saint évêque, notre frère, le seigneur Melaine ; je crois que par ses prières et ses mérites vous obtiendrez votre délivrance."

Sur cet avis, Marsus reprit son voyage. Il arriva, accablé de fatigue, près du bienheureux Melaine, qu'il trouva occupé à la prière, dans la basilique de son monastère de Platz. Il lui exposa de nouveau sa situation et comment saint Victor lui avait conseillé de venir chercher auprès de lui sa délivrance, car il ne pouvait être délié que par celui qui l'avait lié. Sur cela le bienheureux Melaine passa toute la nuit dans la prière et la pénitence, et la matin suivant il donna à Marsus l'absolution, et répandit sur lui avec abondance la bénédiction du ciel. L'eulogie reprit aussitôt sa première forme, et le bienheureux Marsus la consomma avec bonheur. "