Il semblerait qu'historiquement saint Florent était un ermite qui s'était retiré sur l'île d'Yeu. Il est inhumé sur la colline du Mont-Glonne un 22 septembre, et ce jour devint celui de sa fête. Un culte se développe autour de son tombeau, un pèlerinage se forme, et une communauté religieuse s'établit sur les lieux, laquelle est attestée au VIIIème siècle. Le personnage dont il est question ici est bien différent. Il aurait été créé à la fin du premier millénaire par les moines de l'abbaye Saint-Florent-du-Château, à Saumur, afin d'étayer le culte lucratif dont il était l'objet. Ils entreprennent de rédiger sa vie en en faisant le frère de son quasi homonyme saint Florian de Lorch (mort en 304), et en lui attribuant un certain nombre de faits et prodiges familiers aux saints de l'époque. Tout en le faisant venir d'un pays lointain, ils attachent ses pas aux deux principaux établissements de l'abbaye : Saint-Florent-le-Vieil et Saumur. Et ils n'hésitent pas à le faire vivre 123 années ... Il
est aujourd'hui bien difficile de faire la part entre réalité
et fiction : l'ermite de l'île d'Yeu s'appelait-il vraiment
Florent, et est-ce là la raison de son rapprochement avec saint
Florian ? Qui était au départ cet ermite, à
supposer qu'il ait existé ? De quelle nature était le culte
qui lui était rendu sur le Mont Glonne - dont le nom pourrait
évoquer une divinité gauloise - et depuis quand ce
mont était-il ainsi sacralisé (un collège de druidesses
est signalé au Marillais, juste à son pied) ?
Et sa vie, dite légendaire, ne recouvre-t-elle pas quelque personnage
réel ?
La légende Florent et Florian sont donc nés sur les rives du Danube. Récemment convertis, les deux frères sont condamnés par le préfet Aquilin à être noyés dans l'Enns, une pierre au cou, après avoir été suppliciés. Les bourreaux les flagellent avant de les conduire à la mort. Mais en chemin, ils s'endorment, et un ange de lumière apparaît en rêve à Florent, l'enjoignant de se rendre en Gaule et d'y rejoindre saint Martin à Tours. Au réveil, les chaînes de Florent sont tombées. Il renonce à la gloire du martyre et prend la route, non sans avoir dit adieu à son frère. Le chemin est encore plein d'embûches. Arrivé à Lyon, il traverse le Rhône en crue sur les planches vermoulues de ce qui avait été une embarcation et qui menacent de chavirer. Mais la providence divine, incarnée par un ange, le mène sain et sauf de l'autre côté. Saint Martin, de son côté, est prévenu par un ange de son arrivée, et, sitôt après l'avoir accueilli, il l'ordonne prêtre. Tout de suite une délicate mission s'impose à Florent : il a la vision du Mont Glonne (actuellement Saint-Florent-le-Vieil), en aval sur la Loire, qui se trouve infesté par une multitude de serpents. Florent comprend le message ; il va les éradiquer et, en même temps (mais les deux missions symboliquement se confondent), évangéliser la région. Il implante sur le mont un oratoire qu'il dédie à saint Pierre. Puis il réunit autour de lui quelques disciples, et se distingue par de multiples miracles : il redonne la vue aux aveugles, guérit les infirmes, délivre les démoniaques. Certaines versions toutefois - sans doute gênées par la chronologie (en 304 saint Martin est loin d'être né) - voient Florent porter d'abord ses pas vers le Mont-Glonne et, toujours guidé par l'ange, s'établir à son sommet, au sein d'une forêt impénétrable, dans une grotte dont il commence par chasser les serpents. Ce n'est qu'après avoir vécu là plusieurs années qu'il se rend auprès de l'ermite de Marmoutier. Quoi qu'il en soit, les chroniques nous le montrent faisant régulièrement le voyage de Marmoutier afin de se ressourcer auprès de l'apôtre des Gaules. C'est au cours de l'un de ces trajets qu'il rencontre à Candes une femme aveugle en pleurs : son fils unique s'est noyé dans la Loire, et toutes les tentatives pour le retrouver ont été vaines. Tel Jésus à saint Pierre, il demande alors de jeter à nouveau les filets, et l'on remonte du fond l'enfant qui, depuis trois jours, n'était en fait qu'endormi. Et, pour faire bonne mesure, il conclut en rendant la vue à sa mère. C'est à l'occasion d'un autre voyage que la population de Saumur, désespérée, fait appel à lui : un horrible dragon s'est réfugié dans les caves au pied du coteau, dans les zones marécageuses qui bordent le fleuve, et il sème la terreur et la désolation en dévorant bêtes et gens. En bon sauroctone, Florent s'arme de la prière, pénètre dans l'antre du monstre et le contraint à fuir à jamais. Il poursuit ainsi sa vie d'évangélisation et de méditation dans sa retraite du Mont Glonne, où il s'éteint en état de sainteté à l'âge de 123 ans.
Comme tout sauroctone, saint Florent s'affirme comme un héros civilisateur. Au XVIIème siècle, les Oratoriens n'hésitent pas à faire le rapprochement entre la victoire du saint contre le serpent et le culte de la Vierge qu'ils encouragent à l'endroit même de ce combat, à Notre-Dame-des-Ardilliers, pour contrecarrer la présence protestante à Saumur : " Que ce soit un vray serpent ou le hiéroglyphe de l'idolatrie detruite à Saumur par saint Florent, Dieu avait déjà sanctifié ce lieu et fait connoître en ce tems là et au nôtre qu'il n'y avoit point d'asile assuré pour l'idolatrie ou pour l'hérésie dans un lieu où la divine Marie était revérée. " (cité par Grandet dans son livre Notre-Dame Angevine) Avec saint Florian, il peut être rattaché à la thématique des jumeaux dont le sort diverge : l'un est sanctifié par le martyre, comme qui dirait "par procuration", tandis que l'autre l'est par une longue vie de prosélytisme. Mais ce thème semble ici rester accessoire. Libéré par l'ange ou invitant les pêcheurs à jeter leurs filets, saint Florent peut être mis en rapport avec saint Pierre, auquel il se trouve fréquemment associé : c'est à ce saint qu'à peine arrivé sur le Mont-Glonne, il consacre son oratoire, et l'église de Saint-Florent-le-Vieil lui est restée consacrée. A Saumur, l'église Saint-Pierre exposait des tapisseries du XVIème siècle provenant de l'abbaye et racontant la vie de saint Florent aux côtés d'une autre série de pièces racontant la vie de saint Pierre. Un autre aspect du personnage semble vouloir le désigner comme un "maître de l'ours" : il confie la garde d'un troupeau de moutons à l'un de ces plantigrades, qu'il charge de les faire rentrer en temps et en heure. Il reste à définir la signification d'un tel épisode, et à examiner comment il s'insère dans l'ensemble de la thématique. Il faudrait aussi envisager les liens avec saint Mauront qui lui succéda à la tête de l'abbaye de Saint-Florent-le-Vieil et qui lui aussi détruisit un terrible serpent tapi au fond d'une caverne. L'histoire raconte que ce saint abbé resta cent ans endormi dans une grotte du Mont-Glonne. Ce sont là quelques-unes des pistes qui peuvent être explorées à propos de saint Florent. Mais ce qui frappe d'emblée dans sa vie, c'est la récurrence du thème de l'eau, plus précisément des "flots" que son nom semble vouloir évoquer : condamné à être noyé dans ceux de l'Enns, c'est par la crue du Rhône qu'il manque d'être englouti. Les serpents du Mont-Glonne, comme celui du Bois-Doré de Saumur, ne peuvent qu'émaner des eaux de la Loire qui baigne ces deux sites et y avoir été renvoyés, tandis que le fils de la femme aveugle est arraché à ces flots mortifères. Et c'est apparemment le cours de ce "grand fleuve sauvage" qui semble guider les pas de Florent et de ses reliques, entre Saint-Florent-le-Vieil, Saumur, Marmoutier (Tours) et Saint-Gondon.
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