Les autres apports

L'apport grec

Bernard SERGENT

Indépendamment d'une parenté lointaine avec la mythologie grecque, passant par la parenté entre Celtes et Grecs (c'est l'héritage dit indo-européen), il y a eu un apport mythique grec sur le futur territoire français. On ne parle pas ici de ce que les Romains ont pris en Grèce et apporté ensuite en d'autres lieux de leur empire : si, par exemple, un dieu de la Gaule est appelé Apollon, rien ne prouve actuellement que cette divinité grecque, que les Romains ont adoptée et adorée principalement comme dieu médecin, ait été transmise aux peuples qui habitait notre pays avec des mythes d'origine grecque, et que ces mythes se soient implantés par ici ; bien plutôt, " Apollon " est le nom d'une divinité locale, que les Romains ont identifiée, en vertu de son pouvoir médical, à leur Apollon. Par contre, il y a eu des cités grecques dans le sud de la France (Marseille, Nice, Agde, Port-Vendre…), et ces Grecs ne pouvaient faire autrement que d'apporter, et implanter, leurs propres dieux, leurs propres mythes. C'est un objet de recherche que de déterminer dans le matériel du midi de la France ce qui peut être ainsi d'origine hellénique. Un exemple assez net a été fourni par la comparaison entre saint Honorat, dont le culte et un épisode de la vie légendaire se déroule dans l'île de Lérins, qu'il libère de tous ses serpents, et un héros rhodien, Phorbas, qui fait exactement la même chose dans l'île de Rhodes - or, les Rhodiens ont certainement précédé les Phocéens dans la région qui sera celle de Marseille, ils leur ont frayé la voie de l'Asie Mineure au delta du Rhône, et ont dû participer à la colonisation et fondation de Marseille. C'est ainsi qu'un épisode de mythologie rhodienne a pu s'implanter dans le midi de la France, puis, quelques siècles plus tard, a été christianisé par inclusion dans une vie de saint (cf. B. Sergent, " Le dragon dans l'île ", dans Substitution et actualisation des mythes, Actes du XVe congrès de la Société de Mythologie Française, 3-5 septembre 1992, Tende - Vallée des Merveilles - Mont Bégo, sous la direction d'A. Carénini, Centres d'Ethnologie des Alpes Méridionales - Editions Omega, Turin, 2000, pp. 235-242).

 

L'apport anatolien.

Bernard SERGENT

C'est à l'époque chrétienne que se produit un important apport traditionnel originaire d'Asie Mineure (la Turquie actuelle). Il s'agit d'une des régions qui ont été le plus précocement christianisées, de sorte qu'un grand nombre de saints personnages, souvent des martyrs, sont originaires de ce pays. Le transfert de tradition a donc eu principalement l'Eglise pour agent, ce qui n'a pas empêché nombre de distorsions. Le plus célèbre de ces saints est sans doute saint Nicolas qui, évêque de Myre en Lycie (sud-est de l'Anatolie), connut un immense succès en Europe occidentale, en Europe du Nord (où il est l'ancêtre de notre Père Noël), en Russie, dont il est le saint patron. Un autre, qui eut son heure de gloire en France, est saint Eustache, martyr du IIe siècle. L'histoire en est curieuse : selon la tradition, c'était un soldat qui se convertit à la rencontre d'un cerf merveilleux, portant une croix entre ses andouillers. Il a été démontré que cette légende christianise un mythe celtique (l'Anatolie centrale fut en effet habitée pendant plusieurs siècles par une confédération de peuples celtiques, connus historiquement sous le nom de Galates) ; puis elle fut adoptée, précocement, en Italie, où saint Eustache demeure un personnage important. En France, son culte et sa légende eurent également de l'importance, mais vers le XVe siècle fut supplanté par celui d'un autre saint, Hubert, originaire, lui, de l'actuel Bénélux, et à qui l'on attribua la même rencontre miraculeuse. Un autre saint de grande importance est saint Blaise : originaire d'Arménie, il occupe, au 2 février, une date calendaire dont Claude Gaignebet a souligné l'importance : c'est à la fois la date de sortie de l'ours, qui hume l'air pour voir si l'hiver va encore durer 40 jours, auquel cas il rentre dans sa cachette hivernale, ou, sinon, sort définitivement, ce qui annonce un temps pluvieux, et, selon Rabelais, la date de naissance de Gargantua, dont le nom évoque celui de la gorge, garganta dans les dialectes du midi de la France : or, saint Blaise est maître des souffles. Ainsi, ce saint originaire de l'orient méditerranéen a incontestablement été identifié à un personnage antérieur, origine également de Gargantua, lié aux problèmes de gorge et de circulation des souffles, à l'annonce du passage hiver-printemps, et au cycle festiaire celtique, puisque le début de notre mois de février était, en calendrier celtique, l'époque d'une des quatre grandes fêtes annuelles (celle connue en Irlande sous le nom d'Imbolc).